Ephémère Margeride

Maria.

 

 

Maria

 

Catastrophe nucléaire, guerre, cataclysme ?

Les gens quittent le nord du pays et fuient vers le sud.

Cet exode dure depuis très longtemps.

Un village à proximité d'une grande route devenue impraticable, Haïkou.

Les gens se déplacent à pied.

 

Il reste trois habitants à Haïkou: Youna, femme d'une quarantaine d'années, enceinte. Son mari, Amos, âge équivalent et un prêtre intégriste.

Un matin Amos voit une femme essayer d'ouvrir la porte de son hangar.

C'est une femme âgée, elle pousse une voiture à bras. Dans la voiture, un ballot,

des sacs...

 

Le prêtre est en soutane sale et usée.

Amos, Youna et Maria sont vêtus de vêtements usés et rapiècés, Maria de loques.

 

Le décor: la rue. Des gravats, des ordures, des tags fanés, des meubles cassés, des vêtements, une peluche, un volet contre le mur, une porte métallique avec une inscription à la peinture : maison habitée, celle que Maria essayait d'ouvrir.

Son: avant les trois coups et pendant les saluts, chanson: "la légende de St Nicolas".

 

 

La chanson de st-Nicolas

 

Ils étaient trois petits enfants 

qui s'en allaient glaner aux champs

ils sont tant allés et venus

que le soleil les a perdus

 

S'en vont au soir chez le boucher

boucher pourrais tu nous loger

entrez entrez mes chers enfants

y a de la place assurément

 

Ils n'étaient pas sitôt entrés

que le boucher les a tués

les a coupés en p'tits morceaux

mis au saloir comme pourceaux

 

 

 

 

 

Scène 1

 

Amos est planté devant Maria. Il vocifère.

 

Amos – Où tu comptais aller ?

 

Maria - …

 

Amos – Si cette porte est fermée il y a une raison ! Pourquoi crois-tu que je la ferme à clé ? Et d'abord d'où tu sors ?

 

Maria - …

 

Irruption de Youna qui s'interpose.

 

Youna – Laisse la, va, laisse la ! (à Maria) Allez-vous en ! Passez votre chemin ! Qu'est ce que vous nous voulez ?

 

Amos – On en a vu passer vous savez ! Et de tout monde ! Même qu'il a fallu se défendre : ils nous auraient tout pris, tout volé !

 

Youna – On a donné ! Pour ça oui, on a donné ! Au début on les plaignait, on ouvrait la porte. Le peu qui nous restait on le partageait...

 

Amos – On avait tort ! Ils nous auraient piétinés ! Ils prenaient tout, ils demandaient même plus, ils se servaient ! On aurait fini sur la paille ! Ma mère le disait toujours : «  fais du bien à un vilain, il te fera dans la main ! »

 

Youna – D'où vous venez ?

 

Amos – Laisse va , elle a mangé sa langue.

 

Youna – Ça aussi ta mère le disait, je m'en rappelle. Au début, j'étais timide, j'osais pas parler alors elle me disait «  tu as mangé ta langue ? »

 

Amos – C'est pas tout ça, il te faut partir, on a à faire nous.

 

Maria s’assoit devant la porte.

 

Youna – Qu'est ce que vous faites ? Vous ne pouvez pas rester là, c'est chez nous !

 

Amos – Va t'asseoir ailleurs ! Je vais devoir ouvrir cette porte !

 

Youna – Vous êtes muette ?

 

Amos – Laisse la, elle comprend rien...

Va voir quelle langue elle parle... Ou bien elle sait plus parler, ça s'est vu...

 

Youna – Vous avez bien un nom ?

 

Maria grimace.

 

Amos – C'est une folle ! Si ça se trouve ça a le bon sens d'un enfant.

 

Youna – Et si elle était malade ?

 

Amos – Elle a pas l'air.

 

Youna – L'air et la chanson... Vous avez faim ?

 

Amos – Arrête ! On n'a plus rien, tu le sais bien ! Plus rien !

 

Youna – Vous avez soif ?

 

Amos – Je te dis qu'on n'a plus rien !

 

 Youna – On a de l'eau !

 

Amos – Va pour de l'eau.

 

Youna – Vous voulez de l'eau ?

 

Maria se tait toujours.

 

Amos – Elle est muette !

 

Youna – Ou malade.

 

Un curé en soutane apparaît.

 

Le curé – Ou les deux !

 

Amos – Je l'ai trouvée devant la porte. Elle essayait d'entrer.

 

Youna – Elle ne parle pas.

 

Amos – On n'a pas pu lui arracher une parole !

 

Le curé – Seule ?

 

Amos – Oui. C'est dommage. Si elle est muette elle aurait fait le bonheur d'un homme...

 

Youna – Ça te va bien de dire ça ! (au curé) Si je boude une heure il casse tout !

 

 Amos – Je supporte pas.

 

Le curé – Tu serais frais avec une muette !

 

Amos – Peut-être je m'habituerai... Et puis y a les signes. Ça mange pas de pain les signes, c'est bien commode.

 

Youna – Parle pas de pain ! Elle doit crever de faim.

 

Amos – En tous les cas elle ne peut pas rester là !

 

Maria (Elle regarde le ventre de Youna) Vous attendez un triste événement ?

 

 

Scène 2

 

Le curé – Tu es folle ! Il faut que tu sois folle ! Comment peux tu parler comme ça à une mère ?

 

Maria se tait.

 

Le curé – Une naissance c'est pas du malheur !

 

Maria – Tu trouves ?

 

Le curé – C'est un cadeau du ciel !

 

Maria – Empoisonné.

 

Le curé – Tais toi ! La vie ça se respecte ! On se met à genoux devant ! C'est beau !

 

Maria – Allez-y ! Agenouillez vous ! Remerciez le votre Bon Dieu ! Je ne vous retiens pas. Mais ne comptez pas sur moi, j'ai de l'arthrose.

 

Le curé – Tu en as des enfants toi ?

 

Maria ne répond pas.

 

Le curé – T'en as pas... T'as pas voulu ou t'as pas su ? Tu serais une vache tu aurais filé à l'abattoir.

 

Maria – Qu'est ce que vous croyez ? Que j'y ai coupé ? Toute ma vie on m'a saignée, écorchée, découpée. L'abattoir c'est mon quotidien !

 

Le curé – Et alors ? Tu as eu une sale vie, c'est une raison pour décourager les autres ?

 

Maria – Vous êtes aveugle ou quoi Mr le curé ? Regardez, écoutez, sentez ! Oui, reniflez ! Le malheur est partout ! Partout !

 

Le curé – Ça a pas toujours été. Et ça passera. C'est un moment comme ça.

 

Maria – Qui dure.

 

Le curé – Si tu veux, qui dure. Mais cet enfant qui sait, il sera peut-être heureux lui, il remerciera le ciel d'avoir vu le jour.

 

Maria – Peut-être. Peut-être pas. Y en a qui décident de mourir, de plus en plus.

 

Le curé – C'est bon ! Va-t-en ! On t'a assez vue ! Va piailler ailleurs oiseau de malheur ! Fous le camp !

 

Maria – Doucement bonhomme. Parle plus bas. Pour qui tu te prends ? Tu te crois meilleur que moi ?

 

Le curé – Je fais ma part moi. Je baisse pas les bras !

 

Maria – Tu dis « amen », c'est ton métier. Tu crois en l'homme. Mais surtout t'es miraud. Regarde je te dis, regarde et dis-moi ce que tu vois, montre moi ce qui brille !

 

Le curé – Vas-y, cause... En tous cas t'as perdu une bonne occasion de te taire tout à l'heure.

 

Maria – Dis ta vérité un jour, une fois comme ça, ça va te faire du bien.

 

Le curé – T'aurais pas dû.

 

Maria – Qui tu es pour me dire ce que je dois faire ? Maître d'école ?

 

Le curé – J'ai juste un peu plus de bon sens que toi. Tu t'es fait du tort !

 

Maria – Tu crois ça ?

 

Le curé – Bien sûr. T'as rien à manger, tu sais pas où dormir... Compte plus sur eux ! T'as raté ton coup. Ils vont te chasser comme un chien maintenant.

 

Maria – Comme un chien ? C'est trop d'honneur !

 

Le curé la regarde sans comprendre.

 

Maria – Si seulement j'étais un chien...

 

 

Scène 3

 

Le curé accourt, affolé. Il fait de grands gestes.

Maria n'est plus sur scène mais à proximité.

Amos interpelle le curé.

 

Amos – Qu'est ce qui vous arrive Mr le curé ?

 

Le curé – On a cambriolé l'église !

 

Amos – Cambriolé l'église ?

 

Le curé - Ils ont ouvert le tabernacle, volé le calice et le pain de messe.

 

Amos – Le quoi ?

 

Le curé – Les hosties ! Ils ont pris les hosties !

 

Amos – Ils ont volé le calice ?

 

Le curé – Oui, le calice.

 

Amos – Vous n'aviez pas fermé à clé ?

 

Le curé – Bien sûr que si ! Ils sont passés par la sacristie ! Par la fenêtre!

 

Amos – De grande valeur ce calice ?

 

Le curé – Non, bien sûr que non, nous ne sommes pas riches...

 

Amos – Petite perte alors...

 

Le curé – Petite perte ? Je ne peux pas célébrer la messe sans calice ! Et sans hosties !

 

Amos – Vous prendrez un vase quelconque et du pain pour une fois, Dieu comprendra !

 

Le curé – Et le sacré, Amos ! Qu'est ce que tu fais du sacré ?

 

Le curé voit Maria et se précipite sur elle. Il la ramène sur la scène en la bousculant.

 

Le curé – C'est toi ? C'est toi qui es entrée dans l'église ? Et tu as volé le calice ! Où il est ? Qu'est ce que tu en as fait ? Je te parle. Tu ne crains pas Dieu ?

 

Il va chercher la charrette et la pousse sur la scène.

 

On va fouiller tes affaires ! Voleuse !

 

Youna entre sur scène et se précipite vers le curé. Elle le repousse fermement et il s'éloigne de la charrette.

 

Youna – Laissez la Mr le curé ! Qu'est ce que vous lui voulez ?

 

Le curé – Elle a volé le calice !

 

Youna (à Maria) – C'est toi ?

 

Maria ne répond pas.

 

Le curé – Et qui veux tu que ce soit ? Il n'en passe plus. Ils évitent le village maintenant tu le sais bien... Tu en as vu d'autres ?

 

Youna – Non ! Il n'en passe plus... Ils vont crever ailleurs. Vous les avez fait fuir ! Vous avez gagné Mr le curé, vous êtes le meilleur !

 

Le curé – Il fallait le faire ! Vous y seriez tous passés ! J'ai charge d'âmes moi.

 

Youna – Charge de quoi ?

 

Le curé – Je suis responsable de vous devant le Seigneur !

 

Youna – Parlons en de ce bon à rien! Toute cette souffrance et lui là haut qui nous regarde !

 

Le curé – La terre est une vallée de larmes...

 

Youna – Vous pleurez pas souvent Mr le curé ! Et vous vous portez bien ! Faut croire que vous savez nager...

 

Le curé – Je t'interdis

 

Youna – Quoi je t'interdis ? De quel droit ? Du droit divin ? Qui vous êtes pour m'interdire ? Vous êtes un assassin Mr le

curé ! Un assassin !

 

Amos (réprobatif) – Youna...

 

Youna – Il faut bien que quelqu'un le lui dise ! Cette idée de planter des potences à l'entrée du village pour que les pauvres gens aillent voir ailleurs c'est diabolique !

 

Amos – Il fallait les voir ! Souviens toi. Ils étaient devenus fous ! Ils fracassaient les portes, ils pillaient les maisons, ce qu'ils emportaient ils le jetaient dans la rue pour prendre autre chose, ils se battaient...

 

Le curé – L'apocalypse !

 

Amos - Presque. Et puis y a bien des potences mais on n'a encore pendu personne...

 

Maria – Ça viendra.

 

 

 

Scène 4

 

 

Maria – Tu l'as eu toi le typhus ?

 

Youna – Non, je ne l'ai pas eu. Personne ne l'a eu. C'est encore une idée du curé.

 

Maria – Je m'en doutais. Ça se dit sur la route: "leur pancarte à Haïkou, attention typhus, c'est des foutaises..." y disent.

 

Youna – Ils ont fait ça pour se protéger, c'est comme les gibets.

Pour faire peur.

 

Maria – Et ça marche ?

 

Youna – Ça marche. Tu es la seule à passer depuis lundi.

 

Maria – On est quel jour ?

 

Youna – Jeudi je crois.

 

Mrai – Ah, jeudi. Je perds la notion du temps. Un pied devant l'autre, un pied devant l'autre... Ça soûle. Des fois je compte mes pas aussi, pour ne pas penser.

 

Youna – D'où tu viens ?

 

Maria – De là haut. (Elle montre le nord)

 

 Youna – Tu as dû en voir...

 

Maria – Ça peut pas se dire... J'y pense pas. Si j'y pense, je me couche et j'attends.

 

Youna – Ça t'arrive ?

 

Maria – Ca m'arrive.

 

Youna – Et tu repars ?

 

Maria – Jusqu'à présent je suis repartie. Toujours.

 

Youna – Tu sais, tu peux rester quelques jours.

 

Maria – Ton homme ?

 

Youna – Je m'en charge.

 

Maria – Non va, je vais continuer. Il faut que ça défile là autour. Si je m'arrête j'y reste.

 

Youna – Tu vas bien finir par t'arrêter ?

 

Maria – Oui, sans doute, plus loin. Ils paraît qu'ils ne savent pas plus loin. Si on leur raconte ils le croient pas on m'a dit.

 

Youna – Ils doivent s'en moquer.

 

 Maria – Peut-être c'est ça. Ils préfèrent pas savoir Tu dois avoir raison.

 

Youna – Ils ont de la chance.

 

Maria – Leur tour viendra.

 

Youna – Pas sûr.

 

Maria – Bah tu sais moi, du moment qu'ils m'achètent mes chemises...

 

Youna – Tu as des chemises ?

 

Maria – Le ballot, là, c'est des chemises. (Elle montre la charrette)

 

Youna – Tu vas les vendre ?

 

Maria – Sûr ! Je les vends et je refais ma vie. On dit qu'ils manquent de tout.

 

Youna – Des chemises comment ?

 

Maria – Croix rouge Américaine, lavées, repassées, comme neuves.

 

Youna – A carreaux? 

 

Maria – A carreaux aussi. Tu en veux une pour ton homme ?

 

Youna – On n'a pas d'argent. Je peux te donner un poulet.

 

Maria – Rien, je ne veux rien. Je te dois bien ça.

 

Elle ouvre le ballot et on voit quantité de chemises.

 

Maria – Rouge et noire, ça te va ?

 

Elle fouille dans le tas de chemises et en tend une à Youna qui la déplie.

 

Youna – Si ça me va ?

 

Elle tâte le tissu.

 

Youna – Y a tellement longtemps qu'on n'en voit plus des chemises... Toute ma vie j'ai reprisé les vêtements mais maintenant je reprise les reprises, je jette plus, on peut plus jeter.

 

Maria – Avant...

 

Youna – Avant, oui, bien sûr, mais on ne savait pas, on y faisait pas attention, j'en faisais des chiffons des fois... Des habits comme neufs. Aujourd'hui je donnerais ma main droite pour les avoir.

 

Maria – Garde la va, garde la. Qu'est ce que tu veux, ma mère l'avait toujours dit : "Maria elle donnerait sa chemise..."

 

 

 Scène 5

 

 

Maria a revêtu la chemise rouge. Arrivent Amos et le curé.

Amos remarque aussitôt la chemise.

 

Amos – Qu'est ce que c'est ?

 

Youna – Devine...

 

Amos – D'où tu la sors ? (Il se tourne vers Maria) C'est toi ! C'est toi qui la lui a donnée! Où tu l'as prise ? Où tu l'as volée ? Et le calice, où tu l'as mis ?

 

Il s'approche d'elle, agressif.

 

Youna – Laisse la, Amos, elle est malade.

 

Amos – Moi aussi.

 

Youna – C'est grave !

 

Amos – Qu'est ce qu'elle a ?

 

Youna – Le typhus.

 

Amos – Mensonge !

 

Youna – Ces taches rouges sur ses bras...

 

Amos se tourne vers Maria. Les manches de sa veste sont descendues.

 

Amos – Où tu vois des tâches rouges toi ?

 

Youna – Tout à l'heure j'ai vu ses bras.

 

Amos – Et qui te dit que c'est le typhus ?

 

Youna – J'ai soigné Prodan jusqu'à la fin. Ça avait commencé par des plaques rouges.

 

Le curé – C'est exact. Je lui ai apporté les derniers sacrements,

j'ai vu ses bras.

 

Youna – C'était le typhus.

 

Amos – Qu'on a dit...

 

Le curé – Je crains qu'elle n'ait raison.

 

Amos – Et c'est contagieux ça ?

 

Youna – T'as pas vu les pancartes ?

 

Amos - Quelles pancartes ?

 

Youna – A l'entrée du village.

 

Amos – Tais-toi ! Te moque pas ! (au curé) Qu'est ce qu'on fait ?

 

Le curé bat en retraite.

 

Le curé - C'est un calice sans grande valeur... (de loin, à Maria) Tu souffres ?

 

Elle feint de gémir puis se met à rire.

 

Le curé – Les bonnes manières ne t'étouffent pas !

 

Amos – Tout de même Mr le curé, ce calice...

 

Le curé – Un ciboire Amos, juste un ciboire. Laissons la.

 

Amos – C'est bon ! Va-t-en ! Va crever plus loin !

 

Le curé – Allons mon fils, allons ! C'est une créature de Dieu !

 

Il s'en va.

 

Youna - Pas si vite Mr le curé, pas si vite ! Il va vous falloir la confesser !

 

 Le curé – La confesser ?

 

Youna – Elle souhaite être entendue en confession, elle me l'a dit.

 

Le curé – On verra.

 

Youna – Vous devez la confesser avant qu'elle parte.

 

Le curé – Qu'elle reste un peu.

 

Amos – Vous n'y pensez pas !

 

Le curé – On ne peut pas la chasser comme une chienne.

 

Youna – Surtout malade. Il faut lui ouvrir l'église.

 

Le curé – Pour quoi faire ?

 

Youna – C'est la maison de Dieu et elle en appelle à Dieu.

 

Le curé – Comment ça ?

 

Youna – Puisqu'elle veut se confesser...

 

Amos - C'est ça. On va la loger dans l'église. Tu vas la nourrir aussi bien sûr. Et laver ses hardes. Elle pourrait dormir dans notre lit... C'est ça que tu veux Youna ? Qu'on lui laisse notre lit ?

 

Maria – J'ai pas sommeil.

 

Scène 6

 

 

Amos porte un carton sous le bras. Il s'approche de Maria assise contre le mur.

 

Amos – Dis-moi, pourrais tu me rendre un service ?

 

Maria – Si je m'en tire...

 

Amos – Arrête ! Tu n'es pas plus malade que moi.C'est une blague cette histoire de typhus, Youna me l'a dit.

Puisque tu vas vers le sud, c'est sur ton chemin... J'ai un frère à Lorca.

 

Maria – Ravi de l'apprendre.

 

Amos – Il me croit mort sans doute. Dis-lui juste que je suis toujours là.

 

Maria (ironique) – Ça lui fera plaisir.

 

Amos – Pas sûr. Mais là n'est pas la question. C'est que j'ai des droits tu comprends ?

 

Maria – Non.

 

Amos – Qu'il n'aille pas me dilapider l'héritage : je veux ma part.

 

Maria – Pour quoi faire ?

 

Amos – Après la pluie le beau temps !

 

Maria – Ou bien la grêle... Tu sais moi, les dictons...

 

Amos – Je compte sur toi. Une grosse ferme derrière l'église, avec des tilleuls dans la cour et du lierre en façade. Tu demandes Marco.

 

Maria – N'y comptes pas trop. «  Fais du bien à un vilain et il te fera dans la main », c'est bien ce que tu disais ?

 

Amos – C'était manière de parler. Tu le feras ?

 

Maria – Si j'y pense.

 

Amos – (pour rire) Fais un nœud à ton mouchoir...

 

Maria – Il y a beau temps que je n'ai plus de mouchoir.

 

Amos – Et tu n'as pas de chaussures non plus. Tiens.

 

Il lui tend le carton.

 

Maria – Qu'est ce que c'est ?

 

Amos – Des chaussures. Un service en vaut un autre.

 

Maria sort des chaussures défraichies du carton.

 

Amos – Elles doivent t'aller.

 

Entrée de Youna.

 

Youna (à Amos)C'est ca ! Ne te gêne pas ! Donne lui les tiennes de chaussures, celle la sont à moi !

 

Amos (buté) – Les miennes sont trop grandes !

 

Maria remet les chaussures dans la boite et la tend à Youna.

 

Maria – Tiens, reprends-les.

 

Youna – Non va, garde les. Tu en as besoin. Et puis tu m'as donné la la chemise.

 

Maria ressort les chaussures de la boite et s'assoit pour les essayer.

 

Maria (à Amos) – Je peux savoir pourquoi tu lui donne ces chaussures ?

 

Amos – C'est pour un service qu'elle va me rendre. Elle va passer voir Marcos.

 

Youna – Ah ! Tu l'envoies chez ton frère... (à Maria) Je ne suis pas sûre que tu sois la bienvenue...

 

Maria (elle rit) – Au pire je pourrais partir en courant maintenant que j'ai des chaussures...

 

Maria a mis les chaussures. Elles n'ont pas de lacets.

 

Amos – On va te trouver des lacets.

 

Youna – Elles te vont ?

 

Maria – Si elles me vont ? Je suis comme une reine là dedans ! Y a que pour marcher avec des chaussures, je sais pas si je vais savoir... J'ai perdu l'habitude...

 

 Scène 7

 

 

Youna – Je vais partir.

Maria – Toi ?

 Youna – Oui, je vais quitter le village.

 Maria – Tu vas vers le sud toi aussi ?

 Youna – Non.

 Maria - Vers le nord ?

 Youna – Vers le nord.

 Maria – Tu es folle ! Tu vas mourir. Au mieux ils te tueront !

 Youna – Je vais chercher mon fils.

 Maria – Tu as un fils? Où est-il?

 Elle lui tend une feuille froissée. .

 Youna – Regarde. Une réfugiée m'a apporté ce message.

 Maria défroisse la feuille et essaie de la lire.

 Elle la rend à Youna.

 Youna – Tu ne sais pas lire ?

 Maria – Bien sûr que si. C'est juste que je n'ai plus de lunettes. Qu'est-ce qui est écrit ?

 Youna – Qu'il est dans un camp, près de Poitiers.

Maria – Il y a longtemps qu'on t'a remis ce message ?

 Youna – Deux mois et trois jours. Il était dans une institution, malade dans sa tête.

Maria - Quel âge?

Youna - Dix ans.

 Maria – Un enfant... Peut-être l'ont-ils recueilli...

 Youna – Qui ?

Maria – Les Meaculpa.

 Youna – Les quoi ?

 Maria – Les Meaculpas.

 Youna – Qu'est ce que c'est ?

 Maria – Des soldats. Des enfants de Dieu qui prêchent la charité et secourent les faibles.

 Youna – Tu crois qu'il est avec eux ?

 Maria – J'ai dit peut-être.

 Youna – Où ils sont ces soldats ?

Maria – Ils ont un camp immense près de Poitiers. Des milliers de tentes frappées d'un cœur qui saigne.

 Youna – Frappées de quoi ?

 Maria – D'un cœur qui saigne, le cœur sacré de Jésus. C'est leur emblème.

 Youna – Merci mon Dieu ! Heureusement il y a de braves gens.

 Maria – Des malades, Youna, des fous ! Ils jugent et condamnent. Ils construisent des bûchers et brûlent les hérétiques ! Ils veulent purifier le monde qu'ils disent ! Et nous sommes tous coupables. Il faut faire pénitence, Dieu nous a punis !

 Youna – Coupables ? Mais coupables de quoi ?

Maria – Je te dis qu'ils sont fous ! Ils ont un autre symbole : une tête de mort avec des cornes. La marque du diable. Leurs avant gardes parcourent le pays et marquent les villes, les hameaux, la moindre maison. Si c'est de la tête de mort le village est rasé. Si c'est du cœur qui saigne on s'efforce de venir en aide aux habitants.

 Youna – Mais comment ils savent ?

 Maria – Ils observent... Ils supposent... Ils sont dangereux et imprévisibles.

 Youna – Mais ils ont mon fils.

 Maria – Peut-être, peut-être pas...

 Youna – Je dois y aller. Il faut que je sache. Je n'en peux plus tu comprends ? Il tient toute la place. Il m'attend.

 Maria – Tu étouffes ?

 Youna – Oui, c'est ça, j'étouffe !

 Maria – Moi aussi j'étouffe et personne ne m'attend !

 Youna – Tu n'as pas d'enfant toi ?

 Maria – Dieu n'a pas voulu... Ou bien le diable. (Elle glousse.) Ce n'est pas faute d'avoir essayé...

Youna - Tu as de la chance.

 Maria – Tu crois ? Tais toi va. Tu dis « j'étouffe »... T'étouffais avant ? Quand ils sont nés, quand ils étaient petits, quand tu les regardais grandir ?

 Youna – Je les ai vécus à pleins poumons !

 Maria – Tu vois... Moi toujours j'ai étouffé, toujours !

Elles se taisent. Maria fredonne la chanson de St nicolas.

- Ils étaient trois petits enfants

 qui s'en allaient glaner aux champs

 ils sont tant allés et venus

 que le soleil les a perdus

 Subitement :

 Maria – Et l'enfant ?

 Youna – Je t'ai dit que je partais le chercher.

 Maria – Non, celui que tu portes.

 Youna – Il va me suivre. (Elle rit) Il n'a pas vraiment le choix.

 Maria – Tu vas le perdre...

 Youna – Si je restais ici je le perdrais de toutes façons, il ne serait pas le bienvenu...

 Maria – Tu n'en veux pas ?

 Youna – Bien sûr que si ! Mais je veux son frère aussi. Si je ramène son frère celui la aura sa place.

 Maria recommence à fredonner.

- S'en vont au soir chez le boucher

boucher pourrais tu nous loger

entrez entrez mes chers enfants

y a de la place assurément

 

 

 

 Scène 8

 

maria et le curé

 

 

 

Maria – Vous êtes un lève tôt mon père.

 

Le curé la regarde sans répondre.

 

Maria – Est ce que vous vous couchez comme les poules ?

 

Le curé – Qu'est ce que tu veux ?

 

Maria – Confessez moi. (Elle s'approche de lui)

 

Le curé – Ne m'approche pas ! Est ce vrai que tu es malade ?

 

Maria – J'en ai l'air ?

 

Le curé – Youna parlait de typhus.

 

Maria – Elle a dit ça pour que vous me laissiez tranquille.

 

Le curé – Tu vas finir par t'en aller ?

 

Maria – Pas avant d'être confessée. Il me faut en profiter : les prêtres sont devenus introuvables ! Donnez moi l'absolution et je m'en vais.

 

Elle s'agenouille.

 

Le curé – In nomine patri et filii. (Il continue à voix plus basse et fait un signe de croix) Je t'écoute.

 

Maria – J'ai de mauvaises pensées.

 

Le curé – C'est à dire 

 

Maria – Je me dis qu'un prêtre tel que vous, bien nourri quand tout le monde crève de faim est forcément un lâche.

 

Le curé – Tu n'as pas tort. Il m'arrive de le penser aussi. Ce n'est pas pêché, c'est bon sens. Et encore ?

 

Maria – Que piocher le cimetière avant le jour n'est pas chrétien.

 

Le curé (il sursaute) – Tu m'as vu ?

 

Maria – Bien sûr. Ça serait il que vous aviez quelque chose à cacher ?

 

Le curé ne répond pas.

 

Maria – Un calice ? Et les hosties, vous les avez mangées ?

 

Le curé (il crie presque) – Ne plaisante pas avec le corps du Christ ! J'ai caché les objets du culte, oui, je ne veux pas qu'ils soient volés. Par mesure de précaution.

 

Maria – Pourquoi m'avoir accusée ?

 

Le curé – Pour qu'ils te chassent ! Je ne veux plus d'étrangers dans ce village.

 

Maria – En bon chrétien vous les envoyez crever ailleurs. Les Meaculpa ne vont pas vous rater.

 

Le curé – Sornettes ! Maria m'a raconté tes délires, le cœur de Jésus, la marque du diable et tutti quant i... Des bêtises ! Non, je ne veux plus d'étrangers au village. Je le regrette tu sais. J'aimerais les aider. Mais je suis faible, je crains pour mon église.

 

Maria – Vous regrettez ?

 

Le curé – Quelquefois.

 

Maria – Alors je vous donne l 'absolution. Allez en paix, Mr le curé.

 

Elle se relève.

 

Le curé – Mais tes pêchés ?

 

Maria – Je ne sais pas garder un secret.

 

Le curé – Tu vas leur dire ?

 

Maria – Je vais le crier sur ce qu'il reste des toits.

 

Le curé – Et bien dis le leur. C'est pour leur bien après tout, pour les protéger.

 

Maria – Entre nous, répondez moi Mr le curé, vous m'auriez fouillée sans le typhus ?

 

Le curé – Il le fallait.

 

Maria – Seriez vous allé jusqu'à la fouille au corps ?

 

 8 bis

 

Amos et Maria

 

 Amos – Je t'ai apporté de la lecture !

 

(Il sort un journal plié de sa poche)

 

Maria – Qu’est ce que c'est ?

 

Amos – Un miracle ! Un journal, un journal du mois dernier !

 

Maria – Qui te l'a donné ?

 

Amos – Un rôdeur que nous avons dû chasser. Il est parti tellement vite qu'il a laissé quelques bricoles.

 

Maria – Vous l'avez tué ?

 

Amos – Bien sûr que non, nous n'avons tué personne !

 

(Maria prend le journal, le déplie et lit.)

 

Maria – Marseille se rend sans combattre !

Les Alpes Maritimes sont proclamées république islamiste !

Mon Dieu ! C'est donc vrai! J'en avais entendu parler...

 

(Elle lui tend le journal)

 

Qu'est ce qu'ils disent ? Je ne vois que les titres...

 

Amos – Tu n'as pas de lunettes ?

 

 Maria – J'en avais... Qu'est ce qu'ils disent au juste ?

 

Amos – Que des réfugiés se sont précipités par milliers sur nos côtes. Ils mènent une guerre sainte. Enfin tu sais bien, le djihad... On en parlait avant...

 

Maria – Où ils ont ?

 

Amos – Tu as lu les titres : à Marseille et dans les Alpes Maritimes. Mais depuis qui sait... Écoute.

 

(Il lit)

 

Tabac et alcool sont interdits. Pas de musique. Ni bijoux ni parfum. Les voleurs ont la main coupée. Les couples non mariés sont fouettés. Les femmes adultères lapidées.

 

(Il replie le journal)

 

Tout est à l'avenant. Ils sont pires que les nôtres.

 

Maria – Les nôtres ?

 

Amos – Maria m'a raconté. Les comment déjà ? Ah, les Meaculpa...

 

Maria – C'est peste et choléra !

 

 Scène 9

 

Amos apparaît une pioche sur l'épaule et il tient une pelle à la main.

 

Youna – Qu'est ce que tu fabriques ?

 

Amos – Je cherche.

 

Youna – Quoi ?

 

Amos – Devine...

 

Youna – Un trésor ?

 

Amos – Parfaitement !

 

Youna – On peut savoir où ?

 

Amos – (Il pose la pelle et fait un geste vague sur la droite) Par là.

 

Youna – Là ? Mais c'est le cimetière là !

 

Amos – C'est plus facile à creuser.

 

Youna (inquiète) – Amos ? Qu'est ce qui t'arrive ?

 

Amos – Rien ! Je te dis que je cherche.

 

Youna – Tu me fais peur.

 

Amos – Il ne faut pas. Je cherche les munitions d'Argo.

 

Youna – Dans le cimetière ?

 

Amos – Oui, il les a cachées là. Il me l'a dit avant de passer.

 

Youna – Et tu ne crains pas

 

Amos – Je ne crains rien, plus rien. On a besoin de cartouches. Il nous faut des munitions !

 

Youna – Mais tu vas trouver

 

Amos – Rien du tout ! Tu penses : il n'a pas creusé profond. Je le connais.

 

Youna – Tu crois ?

 

Amos – Je sais. Feignant comme il était !

 

Arrivée du curé. Il porte un fauteuil délabré.

 

Le curé (il pose le fauteuil) – Qu'est ce que tu fais Amos ?

 

Amos – Je cherche les cartouches d'Argo.

 

Youna – Dans le cimetière.

 

Le curé – Dans le cimetière ?

 

Amos – Il les a cachées là.

 

Le curé – Il t'a dit au cimetière ?

 

Amos – Il m'a dit au pied de la croix de... et il est mort.

 

Le curé – Et tu pioches le cimetière ! Tu ne crains donc pas les morts ?

 

Amos – Je crains les vivants, ça suffit !

 

Le curé – Tu les déranges dans leur repos éternel !

 

Amos – Justement, ils ont le temps ! Ils se rattraperont !

 

Le curé – Sacrilège ! Et le châtiment Amos ? Le châtiment ?

 

Amos – Au point où on en est je ne crains plus grand chose.

 

Le curé – Dans ce monde Amos, dans ce monde. Mais dans l'autre ?

 

Amos – Le plus tard possible l'autre monde, Mr le curé. Et pour ça il me faut ces munitions.

 

Le curé – J'ai confessé Argo, Amos. A moi aussi il m'a parlé des cartouches.

 

Amos – Où elles sont ?

 

Le curé – Au pied de la croix d'Ipovo.

 

Amos – A la croix d'Ipovo ? Au carrefour ?

 

Il part en oubliant sa pelle.

 

Le curé – Va mon fils et n'oublie pas ta pelle.

 

Amos revient sur ses pas, prend la pelle et s'en va.

 

Le curé (à Youna) – Ton mari perd la tête ma fille ! Il te faudra veiller sur lui. Il voit des ennemis partout !

 

Youna – Où vous allez avec ce fauteuil Mr le curé ?

 

Le curé – Au bout de la rue, Youna, c'est pour ma barricade.

 

 

 

Scène 10 

 

Maria, assise contre le mur, les yeux dans le vague, fredonne la chanson de St Nicolas :

 

- Ils étaient trois petits enfants

qui s'en allaient glaner aux champs

ils sont tant allés et venus

que le soleil les a perdus

 

 

Amos (au curé) - Vous parlez d'une berceuse...

 

Le curé – C'est la légende de Saint Nicolas.

 

Amos – On en aurait bien besoin de celui-là !

 

Maria a le hoquet.

 

Maria – J'ai le hoquet

Dieu me l'a donné,

Je ne l'ai plus

Vive Jésus.

 

Amos montre Maria de la tête.

 

Amos – Le pape serait mort, elle l'a dit à Youna.

 

Le curé – Un pape n'est pas immortel, en aucun cas.

 

Amos – Oui mais y en a pas de nouveau. On ne sait pas où sont les cardinaux.

 

Le curé – Ils se cachent. C'est leur devoir. En ces temps troublés ils ne peuvent pas prendre de risques tu comprends ? Ils attendent leur heure.

 

Amos – Ils reviendront ?

 

Le curé – Bien sûr.

 

Amos – Vous croyez ?

 

Le curé – Quand je te le dis.

 

Amos – Et ils vont élire un nouveau pape ?

 

Le curé – C'est la volonté de Dieu. Depuis des siècles et des siècles les papes succèdent aux papes et tu voudrais que ça s'arrête ?

 

Amos – Mais le Vatican serait détruit...

 

Le curé – Je ne le crois pas. C'est le domaine du Père.

 

Amos – Mais quand même, s'il n'était que ruines ?

 

Le curé – Peu importe le lieu. Il suffirait d'une simple église...

 

Amos – Ils auraient saigné l'évêque de Tours. Comme un chien.

 

Le curé – Et tu le crois ? Dieu protège les siens. La preuve : je suis là.

 

Amos – Ne me dites pas que tous les hommes d'église sont saufs ! Ça se saurait ! Et les religieuses ? Il n'y a plus de couvent.

 

Le curé – Elles ont choisi le camp de l'Autre.

 

Amos – De qui ?

 

Le curé – Du démon, Amos, du démon ! Elles ont payé...

 

Amos – Non ! C'est loin d'être aussi simple, Mr le curé. Il n'y a pas le bons d'un côté et les méchants de l'autre. Ce sont des victimes, juste des victimes.

 

Le curé – Elles ont suivi les faux prophètes.

 

Amos – On en a vu passer pourtant des gens d'église. Rappelez vous ce moine qui fuyait, il vous avait servi la messe. Un boiteux. Son ordre était dissous, son monastère en flammes.

 

Le curé – Il allait vers le sud.

 

Amos – Oui, un réfugié parmi d'autres.

 

Le curé – C'était un traitre. On n'abandonne pas son église, on la défend, si on la perd on la reconstruit tout de suite, on n'a pas le droit de souffler.

 

Amos – Il s'était fait moine mendiant.

 

Le curé – C'était un lâche, Amos, un lâche. Est ce que je me suis enfui moi ? J'ai défendu le bien de Dieu becs et ongles !

 

Amos – Vous devez être le dernier...

 

Le curé – Le Saint Père est vivant, les cardinaux siègent dans la maison de Pierre, les évêques guident des milliers de prêtres. Tout est en ordre dans le monde.

 

Amos – Pourtant ce moine

 

Le curé - Il y aura toujours des chiens galeux, quoiqu'on fasse.

 

Maria recommence à chanter :

 

- Ils n'étaient pas sitôt entrés

que le boucher les a tués

les a coupés en p'tits morceaux

mis au saloir comme pourceaux

 

Scène 11

 

Le curé est agenouillé au milieu de la rue.

Maria l'observe en silence.

Maria – Amen.

Le curé ne réagit pas et continue à marmonner.

Maria - (plus fort) Ainsi soit il !

Le curé sursaute et la fusille du regard.

Le curé – A genoux ! Prie toi aussi ! Dieu nous a abandonnés !

Maria – C'est pas d'hier !

Le curé Ne blasphème pas ! Il était encore là ce matin.

Maria – Il ne peut pas être bien loin alors.

Le curé – Tais toi ! Ne te moque pas ! Tu ne comprends donc pas ? La lampe s'est éteinte, la maison du Père est dans les ténèbres.

Maria – Rallumez la.

Le curé - Ce n'est pas si simple. L'esprit Saint s'en est allé.

Maria – Dieu ou le Saint Esprit ? Il faudrait savoir.

Le curé – Un seul Dieu en trois personnes, tu n'es donc jamais allée au catéchisme ?

Maria – Le Père, le Fils et le Saint Esprit, je sais. Il faut vous reposer Mr le curé, vous êtes surmené.

Le curé – Sans doute. Mais la lampe s’est éteinte.

Maria – Une lampe à pétrole ? Le réservoir sera vide...

Le curé – C'est possible quand tu le dis... C'est qu'on n'a plus de pétrole. On manque de tout.

Maria – Vous vous passerez de la lampe.

Le curé – Mais c'est obligé ! On n'a jamais vu une église sans lampe. Ce serait pêcher...

Maria – Je sais. C'est comme une cloche sans battant. Mettez une bougie, Mr le curé. Vous avez bien des bougies ?

Le curé – J'ai retrouvé le cierge pascal l'année dernière. Je l'avais caché dans le clocher.

Maria – Allumez le , Mr le curé, allumez le. L'Esprit Saint

illuminera votre église jusqu'à la voûte.

Le curé – Ce sera Noël...

Maria - Ce sera Pâques. Noël aussi si vous voulez.

Arrive Youna.

Youna – J'ai repris ma commode, Mr le curé et je vous demanderai de la laisser où elle est !

Le curé – Enfin Youna il me faut des meubles !

Je ne peux pas faire une barricade avec seulement les bancs de l'église !

Youna – Prenez les confessionnaux, vous n'en aurez plus l'usage.

Le curé – Ils sont trop lourds !

Youna – Débitez les à la hache si vous voulez mais ne touchez pas à mes meubles. Je me serai fait un tour de reins, cette commode pèse son poids.

Le curé – Si je ne les arrête pas ils brûleront tout. Alors adieu la commode.

Youna – Prenez les fonts baptismaux !

Le curé – Pardonnez lui Seigneur, elle ne sait pas ce qu'elle dit.

Youna – Je sais très bien ce que je dis. Dans quelques jours l'église sera en cendres. Ils brûlent les églises de ceux qui ont tourné le dos à Dieu.

Le curé – Nous n'avons tourné le dos à personne! Et puis ta Maria raconte des fadaises ! Je n'en crois pas un mot ! Ce sont les pillards que je crains. Ils ne passeront pas !

Youna – Vous croyez ?

Le curé – Pourquoi crois tu que je fais une barricade ?

Maria – Le mieux serait d'écrouler ce qui reste des maisons pour bloquer les rues.

Le curé – Il faudrait des explosifs, nous n'en avons pas.

Maria – C'est qu'ils ont des chars...

Le curé - Des chars ?

Maria – Je ne vois qu'une chose à faire.

Le curé – Quoi ? Dis le.

Maria – Prier.

 

Scène 11 bis

 

 

Amos. Youna. Le curé. Maria. 

 

Amos (à Maria) – Tu es toujours décidée à aller vers le sud ? Note bien que ça m'arrange, rapport à mon frère. Mais tiens-toi à carreau... (égrillard) Ils lapident les femmes légères.

 Le curé (doctoral) -Du temps de Christ déjà

 Maria (elle l'interrompt, furibonde) - Ca va curé, ça va. On est allés à la messe et on nous a lu l'évangile. « Que celui qui n'a jamais péché lui lance la première pierre » et tous sont partis. On sait tout ça par coeur!

 Amos – Les vieux sont partis les premiers, les autres ont suivi.

Youna – Tout de même... Les temps sont tellement difficiles !

 Qui songerait à la bagatelle..

Maria (elle la regarde en souriant) – Et c'est toi qui dit ça... Mais ils sont beaucoup à y songer ! Les gens s'évadent comme ils peuvent ! Un quart d'heure de gagné, c'est un quart d'heure de gagné !

 Le curé – Sodome et Gomorrhe ! Le sacrement du mariage

Maria (l'interrompant) – Pitié, curé, pitié ! Les Meaculpa baptisent à tour de bras. C'est le baptême ou la mort, alors ils baptisent ! C'en est bien un ça de sacrement, le baptême ? Et de s'ordonner prêtre histoire de ne pas manquer de main d’œuvre.Ils ordonnent même les femmes !

 Le curé – Même les femmes ?

 Maria – Et oui... Tout ça fait vœu de chasteté, de pauvreté, d'obéissance... est ce que je sais ? Et au nom de leur foi ils torturent et ils tuent... Alors moi, vous comprenez, vos sacrements et tous vos rituels... Vous ne valez pas mieux que les barbus !

 Le curé – Ce sont des brebis égarées.

 Maria – Des troupeaux, curé, des troupeaux entiers !

 Le curé – Même les évêques ?

Maria – Les curés portent le glaive, les évêques le goupillon !

(Maria défait un ballot et sort une chemise. Elle commence à la déchirer.)

Youna – Qu'est ce que tu fais ?

Maria – De la charpie.

Youna – Pour quoi faire 

Maria – Des pansements ma fille, des pansements. On va en avoir des plaies à soigner, des membres à remettre, des morts à enfouir..

(Youna, radieuse, tout sourire, sort des ciseaux de sa poche et montre un bout de tissu.)

Youna – Donne.

(Amos s'approche de Maria)

 Amos – Ramenez moi mon fils et cette maison sera tienne, tu peux y compter !

 Maria – C'est que je ne serai pas seule.

 Amos – Tu as de la famille ?

 Maria – Non mais je crois que je reviendrai les bras chargés de marmaille, j'ai rêvé qu'on me baptisait la mère de la route.

 

 

 scène 12

 

Amos – Alors tu pars ?

Youna – Demain.

Amos – Réfléchis...

Youna – C'est tout réfléchi.

Amos – Vous n'irez pas loin.

Youna – Maria connait des routes.

Amos – Il n'y a plus de routes tu le sais bien.

Youna – Qu'importe ! Il y aura toujours des chemins, des sentiers, des pistes...

Il y aura toujours un moyen.

Amos – Ils t'arrêteront.

Youna – Nous prendrons soin des blessés. Maria m'a donné un brassard, regarde.

Amos – La Croix Rouge... Est ce que ça existe toujours, la Croix rouge ? C'est prendre de gros risque, Youna et pourquoi ?

Youna – Tu sais bien pourquoi. Viens avec nous Amos. C'est ton fils après tout.

Amos – Ma place est ici.

Youna – Quelle place ? Tu parles comme avant. Il n'y a plus de place, nulle part, pour personne.

Le chien est dans le jeu de quilles !

Amos – Pourquoi crois-tu que j'ai refusé d'évacuer ? Ils partaient tous, on est restés. La maison

Youna (l'interrompant) - Tout est chamboulé Amos. Regarde. Qu'est ce que tu vois ? Des ruines. Où sont les gens ? Morts.

Amos – Pas tous.

Youna – Qui sait ? Nous avons préservé le peu que nous avions, nous nous battons depuis des mois pour le conserver, nous sommes les derniers. Ça ne valait pas le coup.

Amos – Nous avons choisi de rester et nous avons bien fait. Nous tiendrons un autre hiver, un autre printemps s'il le faut. Coûte que coûte. Le fleuve se lassera de charrier des cadavres. Un jour tu me remercieras !

Youna – De quoi ? D'avoir sauvé nos biens ? L'arbre est foudroyé, Amos, le bateau coule, tout n'est que désolation et tu t'accroches à quatre pierres ?

Amos – Des invasions, des guerres, des épidémies, des

cataclysmes peut-être... Les anciens sont restés. Ils ont tenu. Je suis le passeur du domaine, j'en suis responsable.

Youna – Et à qui tu comptes le passer, ton domaine ? Tu n'as plus personne ! Juste un fils peut-être. Viens le chercher Amos, nous le ramènerons.

Amos – Tu en portes peut-être un de fils, Youna, tu vas nous le perdre. Laisse l'autre, garde celui là.

Youna – Impossible, je deviendrais folle. A lier, comme le curé.

Amos – Si je quitte le village, ils brûleront la maison. Tu sais bien : ils font table rase.

Youna – Qu'importe. Nous la rebâtirons ! Je vais chercher mon fils.

 

 

 Scène 13

 

 

 Le curé passe dans la rue. Il porte un matelas. Amos l'arrête.

 

 Amos – Mr le curé, Mr le curé...

 

 Le curé – Amos ?

 

 Amos – Je voudrais vous demander (il s'interrompt)

 

 Le curé – Oui ?

 

 Amos – Youna va partir chercher notre fils.

 

 Le curé – Serguiev ? Vous avez des nouvelles de Serguiev ?

 

Amos – Non, pas depuis l'autre fois. Vous savez quand cette réfugiée nous a remis cette lettre.

 

Le curé – La prostituée ?

 

Amos – Je sais bien, Mr le curé, je sais bien... Mais elle faisait ça pour manger...

 

Le curé – Je pourrais la comprendre. A la rigueur. Mais je ne lui pardonne pas de m'avoir dit en me prenant de haut : « je vends mon corps mon père, c'est pour cela que Dieu me l'a donné. »

 

 Amos – Sans doute. Ce n'était pas à dire. Mais elle était bien serviable.

 

 Le curé – Certes. Elle vous a apporté cette lettre. Elle n'était pas obligée.

 

Amos – Elle n'est pas repartie les mains vides allez. Youna lui a donné un coq et un lapin... (pensif) Notre dernier lapin.

 

Le curé – C'était justice.

 

Amos (soudain) – Et des œufs ! J'oubliais les œufs... (à part lui) Elle n'en avait jamais assez cette gourgandine ! Heureusement que j'étais là, elle lorgnait les jambons...

 

Le curé – Ta femme est généreuse, Amos. Elle va nous manquer.

 

Amos – Elle reviendra aussi tôt que possible, Monsieur le curé.

 

Le curé – Tu crois ?

 

Amos – Bien sûr. Et puis Maria l'accompagne.

 

Le curé – Tu m'en diras tant !

 

Amos – Elles vont soigner les malades, Maria a l'habitude.

 

Le curé – Ça n'a pas de sens Amos. Elle va y rester. Pense donc : une femme enceinte...

 

Amos – Justement

 

Le curé – Quoi justement ?

 

Amos – On avait pensé à votre charrette.

 

Le curé – Ma charrette ?

 

Amos – Oui, elle se fatiguerait moins.

 

Le curé – Tu veux dire que vous n’emprunteriez ma charrette ?

 

Amos – Oui.

 

Le curé – Et mon âne ?

 

Amos – Bien sûr.

 

Le curé – Ça ne va pas être possible Amos. C'est un âne d'agrément, pas un âne de trait.

 

Amos – Mais vous l'atteliez bien avant..

Le curé – Je promenais les enfants pour leur être agréable. Et puis pendant ce temps ils ne faisaient pas de bêtises. Il ne s'agissait pas de parcourir des routes défoncées sur de longues distances où on peut être agressé à chaque instant.

 

Entrée de Youna.

 

Amos (à Youna) Il ne veut pas.

 

Youna – Ce serait me rendre un grand service, Monsieur le curé.

 

Le curé – Youna, combien reste-t-il d'animaux domestiques dans ce village ?

 

Youna – Il nous reste une vache et votre âne.

 

Le curé – Cette vache, vous l'avez conservée au prix de grands sacrifices non ?

 

Youna – Oui. Ça n'a pas été simple ! On la cache pour qu'elle ne soit pas volée, cet hiver Amos a couru tout le pays pour lui trouver du foin... Beaucoup de tracas.

 

Le curé – Et bien tu vois mon âne c'est pareil. Il me donne beaucoup de peine et j'y suis très attaché. Je ne m'en séparerai pas. Pourquoi n’attelleriez vous pas votre vache ? Je vous prête la charrette.

 

Amos – Mais elle n'a jamais été attelée Monsieur le curé. Ça ne sait pas.

 

 

Youna – Dites, où vous le cachez votre âne ? Je ne l'entends plus braire.

 

Le curé, gêné, ne répond pas.

 

Youna – Vous l'avez mangé ?

 

Le curé – Manger Igor moi ? Tudieu ! Tu n'y penses pas !

 

Youna – Comment avez-vous dit ?

 

Le curé - (confus) C'était un mot malheureux, j'en demande pardon au Seigneur...

 

Amos – Non, votre âne, comment vous l’avez appelé ?

 

Le curé – (penaud) Igor mais ça m'a échappé...

 

Youna – C'était le sacristain Igor !

 

Amos (choqué) – Tout de même, c'est un nom de chrétien...

 

Le curé – Un nom de chrétien, un nom de chrétien... Igor, paix à son âme, était plus bedeau que dévot... Et puis c'est entre nous, je veux dire entre l'âne et moi.

 

Youna – En tous cas il ne brait plus Igor.

 

Le curé – Il se serait trahi. Il est en sécurité !

 

Youna (elle se moque) -Vous l'avez caché dans le clocher ?

 

Le curé – Tout au contraire. (Il s'approche d'eux) Il est dans la crypte.

 

Amos – Sous l'église ?

 

Le curé – Oui. Ce n'est pas spacieux, ça manque de lumière mais personne ne le trouvera !(Soudain grandiloquent) Comprenez-moi ! Christ aussi aimait les ânes et c'est sur un âne qu'il est entré dans Jérusalem

 

Youna – (elle lui coupe la parole) Gardez-le ! Je marcherai !

 

Entrée de Maria.

 

Le curé – Je regrette. Un prêtre n'a pas de famille et cet âne, cet âne c'est tout ce que j'ai !

 

Maria – Les gens avaient des chiens, des chats avant... Des crocodiles. Pourquoi pas un âne ? D'autant plus que c'est tout indiqué.

 

Le curé (piqué) Ne te moque pas !

 

Maria – Du calme, Monsieur le curé, du calme... Il n'y a pas offense. Je pensais à Noël.

 

Amos – A Noël ?

 

Maria – Mais oui. Vous fournissez la vache à défaut de bœuf, Monsieur le curé son âne, il manque juste deux ou trois moutons et vous avez votre crèche ! Et le moutons c'est pas ce qui manque.

 

 

scène 14

 

 

Le curé s'approche de Youna qui sort de la maison. Il lui tend une bouteille.

 

Youna – Qu'est ce que c'est ?

 

Le curé – De l'eau bénite ma fille. Elle a pouvoir de guérison.

 

Youna – J'ai cru un instant à du vin blanc.

 

Le curé – Je n'en ai plus. Mais en matière de soin à des malades, il est sans effet.

 

Youna – Alors que l'eau bénite...

 

Elle prend la bouteille.

 

Youna – Merci, Monsieur le curé.

 

Le curé – Ce n'est pas tout.

 

Youna – Vous me prêtez votre âne ?

 

Le curé – Non.

 

Youna – Vous voulez ma commode pour votre barricade ?

 

Le curé – Ce n'est pas cela non plus.

 

Youna – Qu'est ce que vous voulez ?

 

Le curé – J'ai eu une vision.

 

Youna – Il nous manquait plus que ça. Et vous avez entendu des voix aussi ?

 

Le curé – Disons que j'ai fait un rêve et j'y ai vu un signe. Vous allez réussir !

 

Youna – Si vous le dites...

 

Le curé – Toi et moi sommes très proches, le sais-tu ? Je crois au Père et je n'en démords pas. Je périrais pour lui et pour son église. Il n’y a que Dieu, Dieu et encore Dieu !

 

Youna – Vous oubliez Igor.

 

Le curé – Ne plaisante pas ! Je suis comme Lazare, ma foi me sauve. Tout s'écroule et j'avance.

 

Youna – (lassée) Et alors ?

 

Le curé – Alors toi aussi. Tu es comme moi !S'il le faut tu déplaceras des montagnes mais tu ramèneras ton fils !

 

Youna – C'est ça votre rêve ?

 

Le curé – Tu tenais Serguiev par la main, radieuse. Vous aviez réussi !

 

Youna – Vous y croyez vous aux rêves ?

 

Le curé – Je crois en toi.

 

Youna - Dieu, moi, Igor... Vous croyez beaucoup, Monsieur le curé...

 

Le curé – Tu ne baisses pas les bras, tu lèves la tête, tu vas de l'avant : tu sais vivre !

 

Youna – Sainte Youna !

 

Le curé – Ne blasphème pas ! Les saints c'est autre chose. Mais je t'aime !

 

Youna – (amusée) Allons Monsieur le curé...

 

Le curé – J'en ai tellement vus qui ont choisi la souffrance ! Et de gémir, de se tordre les mains...

 

Youna –Il y avait un peu de quoi...

 

Le curé – Ce sont les mêmes qui ont d'abord amassé de l'argent puis de la nourriture et qui se sont finalement enfuis. Tu es restée, tu as fait face !

 

Youna – Amos aussi est resté.

 

Le curé – Amos t'a fait confiance.

 

Youna – Et pour Igor alors ?

 

 Le curé – Je t'aiderai Youna ! Je vais prier pour toi !

 

Youna – J'aurais préféré l'âne...

 

Le curé – Arrête avec cet âne ! Vous allez réussir je te dis.

 

Youna – Puisque vous l'avez rêvé...

 

Le curé – Le monde appartient aux gens comme toi, il est dans leurs mains. J'ai confiance. Laisse moi te bénir.

 

Youna – Vite alors, Monsieur le curé, j'ai à faire.

 

  

 scène dernière

 

 

Amos – Cette Maria, finalement, ce n'était pas une mauvaise femme.

 

Le curé – C'était une brebis égarée. Son berger a su la rappeler à lui...

 

Amos – C'est difficile de parler avec vous, Monsieur le curé, vous ramenez toujours tout à Dieu...

 

Le curé – Dieu est en tout.

 

Amos – Je sais. Faut croire qu'il n'était pas dans le calice, elle l'a bel et bien volé.

 

Le curé – N'y pense plus.

 

Amos – Tout de même...

 

Le curé – Oublie je te dis, c'était sans doute un rôdeur.

 

Amos – Vous croyez ?

 

Le curé – Qu'est ce qu'elle aurait fait d'un calice ?

 

Amos – Elle pouvait le vendre.

 

Le curé – A qui ? Non, c'était quelqu'un d'autre. Ils sont organisés tu sais, ils marchent en hordes.

 

Amos - En quoi?

 

Le curé - En hordes. En bandes si tu préfères.

 

Amos s’assoit et fredonne la chanson de St Nicolas.

 

Ils étaient trois petits enfants

Qui s'en allaient glaner aux champs

Ils sont tant allés et venus

Que le soleil les a perdus

 

 

Le curé – Tu les as entendus cette nuit ?

Amos – Qui ?

Le curé – Tu n'as rien entendu !

Amos – Non.

Le curé – Il est pourtant passé du monde.

Amos (alarmé) – Vous avez vu quelqu'un ?

Le curé – Regarde !

(Il va vers la porte ouverte et la referme, on voit un dessin à la craie qui représente une tête de mort avec des cornes)

Amos - La marque du diable!

Le curé – Le sceau de Satan.

Amos – Il faut l'effacer tout de suite ! Vous savez ce que ça veut dire ?

Le curé – Oui, je le sais, Maria m'avait prévenu. Je ne l'ai pas crue... Mais ne songe pas à l'effacer, tu perdrais ton temps. J'en ai vu d'autres, il y en a partout !

Amos – Nous allons mourir.

Le curé – Sans doute. Qu'importe, nous mourons de toutes façons...

Amos – Mais qu'est ce qu'on leur a fait ? Qu'est ce qu'ils nous veulent ?

Le curé – Le gibet, Amios, le gibet... Souviens-toi, tu disais : il faut les pendre ! C'est eux ou nous !

Amos – Mais puisqu'on n'a pendu personne !

Le curé – Ils ne le savent pas ! Et puis leur mot d'ordre est charité. Une potence incite les gens à passer leur chemin, pas

à demander de l'aide !

Amos – Vous avez fait du beau travail ! Et tout ça pour un âne !

Le curé – Je me moque bien de l'âne ! C'est mon église que je voulais sauver !

Amos – Il fallait en faire un hôpital de votre église !

Le curé – C'est ce que tu voulais ? Tu étais comme un chien enragé ! Ils allaient tout te prendre à t'entendre : ta maison, ta femme, ta vie...

Amos – Il faut fuir, nous cacher !

Le curé – Ils nous observent. Je les ai vus. Ils sont partout.

Amos – Qu'est ce qu'ils attendent pour nous tuer ?

Le curé – Un tribunal.

Amos – Ils vont nous juger ?

Le curé – Oui, et c'est joué d'avance...

Amos – Dites, Monsieur le curé, ils ne vont pas nous brûler ?

Le curé – Qui sait...

Amos – Je sais ce qu'il me reste à faire.

Le curé – N'y songe même pas. Tu serais damné. Et le bûcher serait éternel... Des siècles de siècles ! Il faut te résigner. Confesse-toi.

Amos – L'heure est bien à la confession ! J'ai autre chose à faire.

Le curé – Tu ne veux pas te confesser ?

Amos – Non.

Le curé – Alors confesse-moi.

(Il se signe et s’agenouille)

Joseph – Mais je ne suis pas prêtre...

Le curé – N'es-tu pas le frère de ton frère ?

 

FIN